lundi 16 juin 2008

There will be blood

Réalisateur : Paul Thomas Anderson

Acteurs : Daniel Day-Lewis, Paul Dano...

Date de sortie :
27 février 2008

Résumé : Daniel Plainview en entendant parler de Little Boston comme d'une localité où le pétrole coule à flot, décide de s'y rendre et d'y investir pleinement. Il devra faire face au prêtre Eli Sunday bénéficiant d'une aura grandissante auprès de la population. Une lutte d'influence terrible va alors avoir lieu entre les deux hommes.

Image : Daniel Plainview et son fils, marchant à travers le désert.



Critique : Nous aurions pu sous-titrer cette critique « Paul Thomas Anderson, l’homme qui voulut à tout prix réaliser un chef d’œuvre. » Tous les thèmes développés tendent vers le classicisme et se rapportent aux grandes œuvres cinématographiques américaines des années 20-30-40. Les références puisées dans les grands films, dans les films matrices sont aussi évidentes que lisibles. La démarche de Paul Thomas Anderson intervient, alors que les frères Coen sortent, « No Country for old men ». Si les deux démarches peuvent paraître similaires, elles se distinguent radicalement dans leur composition et leur réalisation. Chez les frères Coen, la référence aux « origines » n’est jamais explicitement citée. Elle appartient au film, ingère ce passé pour le réactualiser. La démarche du sheriff est une réflexion sur l’évolution de la société et la place des hommes dans celle-ci. Les plans sur ces déserts arides, ces rues vides et silencieuses où s’affrontent Moss et Chigurh sont autant de points exacerbant la précarité, la solitude de la condition humaine.

Chez Paul Thomas Anderson, « There will be blood », tout n’est que cinema. Si la démarche est intéressante -se référer à ce cinéma originel-, elle ne transcende jamais les références qui l’habitent. Elle ne se les réapproprie jamais. D’un point de vue formel, l’abondance des plans absolument symétriques (l’entrée de la cavité au début du film, la rencontre avec le « frère » sous le porche, les plans dans les embrasures de porte) renforce l’aspect classique et, paradoxalement, alourdit considérablement la mise en scène dans son symbolisme. Cette symétrie n’existe pas seulement dans la mise en scène, mais également dans le scénario où, un certain nombre de scènes importantes se voient répétées ou inversées (la plus flagrante étant celle de Plainview humilié par le prêtre puis humiliant à son tour le prêtre dans la séquence finale).

Mais qu’est ce que « There Will be blood » ? Peut-être « Naissance d’une nation » de Griffith, actualisé. Lorsque Griffith, à travers deux familles, l’une du Nord et l’autre du Sud, montre l’évolution de la société américaine (de façon raciste, mais là n’est pas le débat). Anderson place le débat sur les deux mamelles nourricières des Etats-Unis actuelles, capitalisme et religion chrétienne, incluant dans sa réflexion les courants fanatiques dérivant d’elle. La naissance de cette nation découlerait ainsi de ces deux idéologies se combattant et se rejoignant sans cesse. Tout au long du film, les deux s’imbriquent, se rejettent, mais l’un comme l’autre, ont besoin de l’autre pour survivre ou exister. La séquence finale nous le montre, l’installation du puit ne peut se faire sans baptême, l’église ne peut se construire sans le financement du pétrole… C’est ainsi que l’on voit que la référence à un cinéma originel, inclassable et indatable, exploitant les destins individuels pour caractériser de grands mouvements idéologiques et dogmatiques. Si cette référence ne servait que de base au récit, il serait impossible de ne pas adhérer à cette démarche. Pourtant quelque chose cloche dans ce film.

Craignant sans doute que ses références passent inaperçues, ils les assènent tout au long du film, multipliant les clins d’œil, priant pour que nous nous rappelions que le film que nous regardons est la grande œuvre classique que les cinéastes attendaient depuis 60 ans. L’utilisation de la musique classique à deux reprises (trois en comptant le générique) avec Brahms et Pärt, appui de manière outrancière le caractère grandiloquent de l’œuvre. Et c’est bien d’outrance dont il s’agit. L’œuvre de Paul Thomas Anderson manque de nuances.

Plainview, aussi riche et subtile que l’interprétation de Daniel Day Lewis soit, n’est qu’un homme d’affaire dévouant tout pour que fleurissent ses puits de pétrole. La richesse de la personnalité du personnage intervient dans la relation qui le lie avec son « fils », mais nullement dans son business ou de ses relations avec ses concurrents.

Idem pour le prêtre, qui est une caricature de prédicateur portée par sa seule ambition et se nourrissant de la duperie pour avancer. Il faudrait, sans doute que nous nuancions ce constat mais ces personnages sont plus nourris par la thématique servant le film que par leur propre personnalité. Que sait-on de leur passé ? De la naissance de leur « passion » ? Pour un film se déroulant sur près de 30 ans, il est étonnant que la question de la naissance de leur ambition ne soit pas traitée, preuve que la caractérisation des personnages importent moins à Paul Thomas Anderson que leur place comme vecteur thématique.

Nous évoquions l’outrance, la dernière séquence nous apparaît particulièrement révélatrice de cet aspect bancal et exacerbé du film. Si les deux confrontations finales se révélaient nécessaire thématiquement. Le fils « tue le père », coupant le cordon ombilical. La dernière partie, apparaît complètement démesurée par rapport à la réalité de la situation. En quoi cette « explication finale » se justifie-t-elle ? En rien, la mise à mort du prêtre est un élément dramatique parfaitement inutile dès lors que Plainview a déjà réussi à humilier son adversaire, à le ramener à sa condition de raté.

Alors pourquoi un meurtre pour clore ce film ? La référence au classicisme, sans doute. « Les Rapaces » de von Stroheim apparaît comme la référence explicite expliquant cette séquence finale outrée. Le meurtre final, dans le désert, ultime explication entre deux êtres s’étant vouée une haine féroce tout au long de leur vie. Et ironie du destin, l’un d’eux en ayant tué l’autre se retrouve menotté au cadavre de son ennemi juré, le traînant dans le désert du Grand Canyon. La similitude des thèmes, la volonté de créer une explication finale, dans un manoir que n’aurait pas renié Orson Welles dans Citizen Kane, engendre dans cet acte ultime et finale une sur-dramatisation, référence à un cinéma où la possible salvation passe par le meurtre, la destruction de l’adversaire. La phrase finale appuie ce propos, « J’en ai fini ». Effectivement Plainview en a fini avec ce prêtre, en a fini avec son fils… mais Paul Thomas Anderson lui, n’en a pas fini avec le cinéma classique. Il n’a pas tué le père, n’a pas coupé le cordon ombilical, ce qui créé une œuvre aussi superbe visuellement, que bancale scénaristiquement et dont les thématiques, certes intéressantes, se retrouvent surchargées par le poids des références.

Pourtant, malgré son aspect « trop grand pour soi », il n’en reste pas moins que cette œuvre possède une grande force visuelle et un fort pouvoir d’attraction grâce à la présence magnétique de Daniel Day Lewis à l’écran. Et si Paul Thomas Anderson n’a pas encore totalement ingéré un cinéma qu’il vénère et auquel il se réfère, la forte puissance évocatrice du film n’en demeure pas moins exceptionnelle. Voir deux films, comme « No Country for old men » et « There Will Be Blood » en si peu de temps, s’interrogeant et se référant sur les origines d’un cinéma, sur les fondements d’une société, sur des thématiques particulièrement contemporaines, ne peut que nous réjouir lorsque ces aspects paraissaient seulement intéresser les « papys cinéastes » que sont Scorsese (Gangs of NewYork) ou Eastwood (Mémoires de nos pères). Alors que les cinéastes de la génération des Coen et d’Anderson (Tarantino ou Soderbergh par exemple) semblent voués depuis plusieurs films à pasticher un cinéma bis des années 70 où la place de la référence et du clin d’œil empèse de plus en plus un cinéma souvent vain (Tarantino, Rodriguez) ou à recopier une esthétique sans l’interroger (Soderbergh ou Clooney (le noir et blanc années 50 de « Good Night & Good Luck »).

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Un premier article intéressant et une interface très agréable, bon choix au niveau des couleurs et de la police d'écriture! Je souhaite une belle traversée, à ces lignes de fuite.

Fanny a dit…

Très belle critique pour un film qu'il faut absolument que je voie. Bonne continuation !

Adrien a dit…

Merci à toutes les deux ^^, en espérant que la suite vous intéressera autant =).