lundi 23 juin 2008

The Darjeeling Limited

Réalisateur : Wes Anderson

Acteurs : Owen Wilson, Adrien Brody, Jason Schwartzman, Bill Murray, Anjelica Huston, Nathalie Portman, Barbet Schroeder...

Date de sortie : 19 mars 2008

Résumé : Trois frères ne s'étant pas parlés depuis la mort de leur père, décident, sous l'impulsion de l'aîné, de voyager dans le Darjeeling Limited afin de retrouver leur mère, partie vivre au Tibet.

Image : Peter, Francis et Jack en moto à travers l'Inde



Critique : Wes Anderson développe une idée principale dans ses films, celle de la famille réduite à un vase clos dans lequel les membres de celle-ci cherchent, à tout prix, à s’échapper de manière anarchique aux uns et aux autres.

The Darjeeling Limited n’échappe pas à ce principe initial. Trois frères se retrouvent dans un train traversant l’Inde pour rencontrer une mère qui les fuit. Ces trois frères ne se sont plus vus depuis un an, ce qui coïncide avec l’enterrement de leur père. Cette fratrie, menée par Francis Whitman, interprété par un excellent Owen Wilson, aux horizons divers va se retrouver cloîtré dans l’espace limité du train. La mise en scène met en exergue cette « détention », notamment à travers un plan particulièrement symbolique où Jack Whitman après avoir vérifié les messages de son ex, est espionné par ses deux frères, la caméra dans un travelling latéral va se déplacer pour suivre la vie d’un autre couple pour se rattacher à Jack qui passe dans le couloir au fond pour revenir sur les deux frères toujours en train d’espionner. La distanciation et le mur que représente le wagon du train place le spectateur en situation de voyeur.

Voici trois frères que tout oppose, nous les avons placés dans une cage, voyons comment vont-ils réagir.

Si le sous-titre du film annonce que « cela aurait dû être une quête initiatique », la quête ne prend pas place dans la première partie planifiée par Francis. C’est l’expérience qui s’invite et nous dresse le constat implacable, sous la bouffonnerie de la situation, de l’impossibilité de ses frères de cohabiter. Cela passe chez Anderson par plusieurs éléments scénaristiques. Les informations qui se diffusent au sein de la fratrie ne parviennent jamais directement. Francis apprend que Peter attend un enfant, par Jack. Francis apprend que Jack a pris des billets d’avion pour repartir « au cas où », par Peter. Francis apprend que Jack vérifie les messages de son ex par Peter… Les exemples sont nombreux et appuyés au cours de cette première partie. Pourtant au-delà des fractures qui sont nées, leur atavisme ne les abandonne pas. Et en cela ils sont liés. Ils sont liés par leurs vêtements, ces costumes à la coupe identique, mais aux couleurs différentes, par ces valises qu’ils traînent comme un poids paternel inexpugnable. Cela se manifeste également par la prise de médicament à outrance, visant à provoquer diverses hallucinations ou sentiment de bien-être. Cette volonté d’échapper à la réalité intervient comme un socle commun pour tous les membres de cette famille. Point fondamental. La fuite. Leur mère a fui et fuit toujours. Jack tente de fuir avec son billet planqué, tout en fuyant son ex. Peter a toujours eu dans l’idée de fuir sa femme en divorçant et Francis a voulu fuir la vie en tentant de se suicider.

A ce stade, intervient une question fondamentale posée par Jack : « Est-ce que nous aurions pu être proches dans la vie ? Pas en tant que frère mais en tant qu’amis. »
Idée semblant hanter Anderson depuis ses premiers films : de quoi est constituée la famille ? Est-ce seulement les « liens du sang », les similitudes physiques ou vestimentaires, les similitudes gestuelles et intellectuelles ou alors est-ce encore autre chose ? Serait-ce un lien proche de l’amitié, une entente basée sur la confiance et la solidarité ?

Wes Anderson apporte sa réponse à cette question. Et elle émerge dans la seconde partie du film qui se libère de la première. Les plumes de paon ont chacune emprunté leur chemin, il n’en reste plus qu’une et elle va les souder. La séquence où ils sont assis avec leur torche dans le désert marque la fin de ce cycle où ces frères cessent d’être frères pour s’éloigner à nouveau les uns des autres.

Comment relier ces frères à nouveau alors ? En musique, il existe un terme qui détermine une phase d’un morceau qui permet de relier le thème B au thème A, cela s’appelle « un pont ». Dans ce film il y a un « pont » visible, entre la première et seconde partie. Il s’agit de la séquence de sauvetage des enfants par les trois frères où l’un des enfants va trouver la mort. Cette séquence permet d’amener Jack, Francis et Peter au sein du village et ainsi d’assister à l’enterrement. Là, intervient une notion fondamentale dans ce film. L’écho. La répétition. Le parallélisme. Ainsi la révélation du lien rejoignant les trois frères passe par l’enterrement de ce jeune garçon et cet enterrement est précédé par l’enterrement du père. Cet enterrement du père et son déroulement sont annoncés dans le train. Le texte de Jack que Peter lit. Ce jeu de répétition d’un évènement, le contenu de l’enterrement et les relations que nourrissent les personnages, puis la répétition de deux enterrements à un an d’écart, entraîne une réaction en chaîne. L’origine de l’écho, le cri initial est l’enterrement du père. De cet enterrement se répercute un ensemble d’évènements qui les a amené à se retrouver, mais non à se lier. Aussi pour la première résonance, Peter se retrouve seul à pleurer dans les toilettes et Francis ignore le texte de Jack. Alors que la seconde résonance intervient comme une libération. Le premier enterrement les divisa, le second les soudera.

Cette nouvelle fraternité leur permet à présent d’achever leur voyage en allant voir leur mère. L’enterrement leur sert de révélateur et, en allant chercher leur mère, ils tentent de ressouder complètement leur famille. Que leur mère refuse n’a rien d’étonnant, son parcours n’est pas le même et son apparition n’a pour but que de laisser les frères à eux-mêmes. Ils peuvent quitter leur mère comme ils pourront quitter les valises paternelles dans la séquence finale. Débarrassés de ce poids atavique, ils peuvent retourner chez eux avec la certitude d’avoir franchi un cap décisif. Celle de pouvoir aborder leur vie d’adulte pleinement, sans être en quête d’un père ou d’une mère.

The Darjeeling Limited est un film sur l’adolescence (ou l’adulescence, grand terme à la mode) et le passage au « monde adulte ». Wes Anderson sort ses personnages de cet univers castrateur, celui-ci les ayant tenu éloignés autant intellectuellement que physiquement les uns des autres. Par ce film Anderson s’offre une mue par rapport à ses derniers films, cette mue qui scinde le film en deux. Francis, Peter et Jack sont sortis de ce vase clos et peuvent rentrer chez eux, prêts à affronter leurs problèmes et à se faire confiance (la séquence où Jack abandonne l’idée de dire que ses personnages sont fictionnels est révélatrice dans ce sens. Il n’a plus besoin de se cacher, de se retrancher derrière la fiction pour admettre qu’il parle de lui, de ses frères, de ses amis, dans ses romans).
Une comédie familiale en somme.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Très belle critique pour un superbe film. Il faut absolument que je l'achète en DVD.
Bravo et bonne continuation !