mardi 28 juillet 2009

Naître à jamais

Titre : Naître à jamais

Production : Théâtre Hongrois de Cluj (Roumanie)

Image : L'Homme Sans Nom



Dramaturgie :
Andras Visky

Mise en scène et illustration musicale :
Gabor Tompa

Chorégraphie : Vava Stefanescu

Décor-costumes : Carmencita Brojboiu

Assistant dramaturgie : Kinga Kovacs

Régie plateau : Levente Borsos

Acteurs : Aron Dimény, Hilda Péter, Attila Orban, Balazs Bodolai, Enikö Györgyjakab, Zsolt Bogdan, Ernö Gallo, Lehel Salat, Ferenc Sinko, Emöke Kato

Représentations : Avignon, festival off, Théâtre des Halles, du mardi 7 juillet au jeudi 30 juillet à 21 heures, spectacle surtitré en français.

Image :



Article : Saisi dès son arrivée dans le théâtre par la mise en scène audacieuse de Gabor Tompa, le spectateur ne peut détacher son regard du tableau s’offrant à lui, avec ces corps dans la pénombres investissant l’arrière plan de la scène, pareille à un chœur dont les premiers éclats seraient ceux de ce violon à la lente complainte issu d’un chant funéraire juif. Les corps se meuvent, se choquent, s’entrechoquent, se rejoignent, se suivent, se disloquent et se distendent et au milieu de la scène, effacé, « l’Homme sans nom » sort de l’ombre, observe la scène et complète le tableau.

Il est seul, ancré dans ses souvenirs, dans cette cabine de plexiglas, mur construit entre lui et les autres, d’où surgissent ces fragments de mémoire, tapant à la machine ces mots qu’il invoque et qui le hantent. Cette silhouette, ligne noire sur cette toile maculée de lettres et de phrases manuscrites, erre tel un spectre, figure de cire et voix profonde, d’une extrême justesse, pareille à une prière, se haranguant en répétant et butant sur les moi, sur les mots, butant sur son moi qui se fond et se défait au fur et à mesure que la pièce se joue. Invoque Yahvé, multiplie les bégaiements et les répétitions lancinantes, jeu de martèlement pouvant évoquer le poète juif roumain Gherasim Luca, mais dont la figure est tenue éloignée, car chez Andras Visky, il n’y a pas d’ouverture, la répétition ne crée pas de voies nouvelles, elle demeure là, creusant le même sillon, prête à s’enterrer et à enterrer le personnage avec elle, alors que le phrasé de Luca s’échappe pour déboucher à chaque achoppement sur de nouvelles perspectives. Tout est en butte et en lutte, la parole n’apparaît pas libératrice et la confession nullement salvatrice, enfermé dans sa cellule de verre et de souvenir, « l’homme sans nom » erre parmi les morts, ceux d’Auschwitz, les plus raffinés, ceux que l’on applaudit durant les banquets funéraires, grand moment d’audace et d’humour noir dans la pièce que cette danse macabre où les invités à têtes de mort investissent la scène et énumère le lieu tragique de leur décès.

L’espace est recouvert par les mots et les silhouettes noires, les neuf autres acteurs investissent l’estrade par leur corps et leur chant, comme un chœur antique dont la parole aurait été remplacée par le mouvement de leur corps chorégraphié. Mouvements d’humeur, mouvements d’humour, ils expriment les désirs secrets et les pulsions profondes, retiennent la femme de « l’Homme Sans Nom », victime de ces souvenirs, vivante parmi les morts, qui hurle, se bat, s’effondre, espère, mais demeure toujours à l’écart de son mari, dont le souvenir a dressé une barricade infranchissable contre laquelle elle ne peut que se heurter et se blesser. Sa quête de l’enfant, sa quête de vie, ne prend son sens que dans sa volonté d’avancer dans celle-ci, de se perpétuer lorsque son mari s’est figé et a figé le temps, son temps, avec lui, plus question d’enfant, plus question de cheminer dans la vie, la mort est là, elle guette cette stratification de l’être. Homme statue, enfermé dans sa tour, face à cette femme de désir et de passion qui gravite autour de lui avant de s’enfuir, de s’éloigner, de divorcer.

Et l’Homme indifférent parle, dialogue avec Dieu, les évènements futiles n’ont plus de prise sur lui, lui aussi fuit, d’une fuite immobile, fuite où le présent et l’avenir n’ont plus d’importance. Il ne parle plus avec les hommes, mais avec Dieu. Des dix hommes sur scène, dix hommes permettant d’entamer le minyan, cette prière juive, il est le seul d’entre eux qui puisse dialoguer avec Yahvé, qui puisse l’interpeller, avec force et rage. Eclairs troublants où la musique lui répond dans l’obscurité, où la présence de Bach donne foi aux phrases de Cioran, « sans Bach, la théologie serait dépourvue d'objet, la Création fictive, le néant péremptoire. S'il y a quelqu'un qui doit tout à Bach, c'est bien Dieu. », où elle irradie dans ce final où l’encre bleue macule la cage des souvenirs, les feuilles de la mémoire et où tombe du ciel, du sable issu d’objets semblables à des pommeaux de douche _ultime réminiscence d’Auschwitz ?_ et où elle emporte l’assistance lorsque lumières éteintes, sa musique sacrée résonne.

Une pièce sans compromis, ni compromission, sans facilité, ni futilité, une pièce, une mise en scène, des jeux d’acteurs qui ne peuvent qu’accompagner une vie.

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