dimanche 13 juillet 2008

Le cloisonnement chez Carpenter

Réalisateur : John Carpenter

Titres des films :
New York 1997, The Thing, Les aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin, Los Angeles 2013

Acteur : Kurt Russel

Dates de sortie en France : 24 juin 1981, 3 novembre 1982, 3 septembre 1986, 13 novembre 1996

Image : Kurt Russel dans New York 1997

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Article : Du cinéma de Carpenter nous avons retiré quatre films pour évoquer son œuvre. Quatre films dont le personnage principal est interprété par Kurt Russell. Quels sont-ils ? « The Thing », « Les aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin », « New York 1997 » et « Los Angeles 2013 ».
« The Thing » narre l’histoire d’un groupe de scientifiques en plein Antarctique confronté à un être extra-terrestre capable de prendre l’apparence de n’importe quel être vivant.
« Jack Burton » demeure le film le moins sombre, à l’univers le plus bigarré. Carpenter offre une comédie où un routier, souhaitant aider un de ses amis chinois dont la fiancée a été capturée, doit affronter : esprits, fantômes et magie.
« New York 1997 » et « Los Angeles 2013 » sont basés sur le même scénario. Snake, ancien militaire et héros de guerre, est envoyé dans les pénitenciers géants que sont devenus New York et Los Angeles. Lors du premier film, il doit récupérer une cassette et le président ; durant le second il doit récupérer un boîtier permettant de neutraliser toutes les sources d’énergies de la planète, pouvant plonger la Terre dans le noir.

Ces films répondent à des structures scénaristiques similaires et véhiculent des idées semblables d’un film à l’autre. Ainsi, ils se décomposent en trois temps (à l’exception de « The Thing » dont la conclusion se démarque des trois autres). Tout d’abord, la phase introductive où l’élément central et perturbateur part de l’extérieur pour arriver dans le lieu cloisonné où va se dérouler l’action :
_Le chien poursuivi par l’hélicoptère au début de « The Thing », l’élément perturbateur étant évidemment le chien.
_Snake arrive du monde « libre » dans « New York 1997 » et «Los Angeles 2013 », pour pénétrer dans les deux immenses prisons où va se situer l’action du film. Il y pénètre grâce à un planeur dans le premier et un sous-marin dans le second.
_Pour « Les aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin » l’espace clos apparaît de manière plus symbolique que physique. En réalité, il y a deux cloisonnements différents dans ce film, le premier consiste en l’arrivée en camion de Jack Burton dans le Chinatown de San Francisco. Il pénètre dans un marché chinois avec son camion, seul véhicule motorisé au milieu de tous ces commerçants et ces acheteurs s’affairant autour des denrées exposées. Le deuxième se trouve être le bâtiment où est enfermée la femme de Wang Chi, Miao Yin.

La seconde phase, constituant la majeure partie du récit, met en opposition l’élément étranger et l’univers clos, régit par ses propres règles. Ce dernier, en tant qu’étranger, doit s’adapter à ce monde pour survivre. Ainsi la créature de « The Thing » devient littéralement membre de cette communauté en absorbant ses membres et en les remplaçant. Par opposition Jack Burton découvre, éberlué, un monde totalement fantastique, le spectateur et Jack Burton entre en symbiose. Le spectateur et Jack Burton sont placés sur un pied d’égalité face aux étranges magies qu’ils découvrent, face à ces fantômes improbables. Pour que le spectateur adhère à ce spectacle, Jack Burton doit incarner le spectateur européen découvrant cette culture et son folklore. D’ailleurs la première scène où la magie intervient, arrive sur une place totalement cloisonnée où deux bandes rivales s’affrontent et dans laquelle se trouve Jack Burton, arrivé ici avec son camion après avoir emprunté une très mince ruelle. Notons que l’élément extérieur parcourt un trajet, pour arriver dans un univers cloisonné où il devra faire face à un univers dont il ignore tout. Jack Burton demeure une exception dans ces quatre films, car il est le seul qui ne s’adapte pas. Au début et à la fin du film, il demeure le même, simple spectateur, compagnon d’arme de Wang Chi. Ce dernier apparaît comme le véritable héros du film, car il est celui qui connaît ce monde et ses règles.
Dans « New York 1997 » et « Los Angeles 2013 », de nombreux personnages installés au cœur de la prison aident Snake à s’adapter à ce monde. Ces personnages y laissent presque tous leur peau. Cabie, Harold Helman et Maggie pour « New York 1997 » ; Taslima, Eddie et Hershe Las Palmas pour « Los Angeles 2013 ». Là où Kurt Russel n’apparaissait que comme un spectateur dans « Jack Burton », dans les deux films où il incarne Snake, il est le héros. Il devient donc celui qui doit s’adapter pour survivre et cela même aux dépends de ceux qui l’aident. Jack Burton ne faisait que passer, son intervention dans le monde qu’il fréquentait apparaît comme complètement dérisoire (même s’il tue l’empereur, l’ensemble de ses actions est toujours minoré par sa balourdise et son goût pour le ridicule, au contraire de Wang Chi ne cessant de combattre pour récupérer sa futur femme). Tandis que Snake, par son intervention, bouscule les règles établies et les transforme à son avantage. Ainsi le combat sur le ring dans « New York 1997 » et la partie de basket-ball dans « Los Angeles 2013 » lui permettent de retourner des situations très compromises, où la mort lui semble promise, pour s’en extirper glorieusement. Ces deux « moments » de gloire de Snake, interviennent également dans un espace cloisonné, le ring et le terrain de basket complètement grillagé. L’enfermement de Snake puis sa libération transforment les règles établies par ce monde, la mise à mort systématique de celui pénétrant dans ces deux espaces.

Le cinéma de Carpenter, à travers ces films, raisonne en terme d’espace et de délimitation de cet espace. « The Thing » se construit au cœur de l’espace Antarctique, son désert polaire, puis au cœur de cet espace, les stations scientifiques américaine et norvégienne. Dans « Jack Burton », il s’agit d’abord de Chinatown, puis à l’intérieur de ce quartier, le bâtiment où réside le fantôme de l’empereur. « New York 1997 », apparaît plus diversifié pour les espaces cloisonnés importants à l’intérieur même de la prison. Ainsi, il y a la bibliothèque où Snake retrouve son ancien compagnon d’arme, puis le train dans lequel il récupère la mallette. « Los Angeles 2013 » semble moins marqué par ces espaces cloisonnés, hormis la place où a lieu la bataille finale, le terrain de basket ou le centre de chirurgie. Peu d’espaces cloisonnés apparaissent réellement important dans l’histoire. Sauf si l’on intègre l’omniprésence de la télévision. Elle offre en elle-même un cloisonnement de l’espace par son cadrage et la réduction de l'image au sein du film. Il apparaît une dichotomie entre ce que le téléspectateur (sous-entendu celui appartenant au monde du film) et ce que les spectateurs (ceux regardant le film) voient. Le plan ainsi se décompose entre le spectacle télévisuel et ses différents plateaux (le bunker de Cuervo Jones, le plateau portatif du Président...). Le plateau permettant de sortir du monde du film, pour entrer dans l'illusion télévisuelle.
Par exemple, la séquence où Cuervo Jones annonce autant au monde qu’au Président des Etats-Unis qu’il détient la fameuse télécommande, permet à l’Etat Major de réaliser que Snake demeure vivant. Un jeu sur les images et le cadrage s’installe entre ce que Cuervo montre, ce que le Président voit, le Président assimilé ici en tant que téléspectateur lambda et ce que nous percevons. Le lieu d’où Cuervo tient sa conférence de presse dans sa globalité, puis s’enchaîne la diffusion du programme pour l’Etat-Major où Cuervo s’adresse directement au Président, recroquevillé dans sa base militaire. D’un espace cloisonné à un autre, les échanges deviennent effectifs par la transmission de ces images cloisonnées, les images télévisuelles apparaissant restreintes par le cadre du téléviseur. Cuervo déclare dans ce poste télévisuel qu’il souhaite la libération des habitants de Los Angeles. Carpenter souligne par sa simple mise en scène, la situation de Cuervo, un prisonnier réclamant sa liberté. Enfermé dans cet écran et dans ce cadre, il ne peut communiquer que par ce biais avec le Président.
Nous retrouvons la même idée à la fin du film synthétisée en deux plans, lorsque le Président tient sa conférence de presse, croyant posséder la télécommande, il est vu par sa fille dans cet espace cloisonné tandis qu’elle est prisonnière, sur sa chaise électrique. La suite montrera l’inverse, l’action de Snake inversera cette situation, libérant la fille en annihilant l’action du Président.

La troisième phase, celle de la fuite ou du départ. Dans « Jack Burton », Jack Burton repart tel qu’il était venu, ou presque. Le seul élément qu’il rapporte de son immersion dans Chinatown et son monde magique réside dans la boule de poil monstrueuse qui s’est caché à l’arrière de son camion. Plus humoristique que réellement importante, cette fin ponctuée par cette apparition ressemble plus à un clin d’œil pour le spectateur qu’autre chose. En réalité, Jack repart tel qu’il est venu, dans son camion, seul, parlant dans sa CB, toujours péremptoire. Dans « New York 1997 » et « Los Angeles 2013 », Snake s’échappe grâce à deux moyens de locomotion motorisés, tout d’abord le taxi dans le premier, puis l’hélico dans le second. Snake ne repart jamais tel qu’il est venu, et jamais par la même voie. Il entre par la voie aérienne et s'enfuit par la route dans « New York 1997 », dans « Los Angeles 2013 » il pénètre dans cette ville par la voie marine et en ressort par la voie aérienne. Cela s’oppose au parcours de Jack qui entre et ressort de Chinatown avec son camion. Cela sonne comme la matérialisation de l'évolution psychologique subit par Snake et son absence chez Jack Burton. Elle apparaît, également, symboliquement par la manière dont Snake Plissken doit être appelé au début des deux films : Snake, puis à la fin de ceux-ci : Plissken. Il passe du statut de soldat employé, contre son gré, par le gouvernement, à celui de citoyen en résistance contre la politique de ce gouvernement. Transfert du surnom de soldat au nom du citoyen. Toute la mutation de sa personne en mission se voit condensé dans ce basculement entre le début du film et sa fin. L’espace cloisonné où il intervient représente le lieu où il va changer et prendre conscience de son importance. D’une action purement individuelle initiale : sauver sa peau, il se transforme en « défenseur de la liberté », se rebellant contre les ordres moraux et policiers, contre toutes les institutions répressives. Pour que cette prise de conscience ait lieu, il doit passer dans les espaces cloisonnés que représentent ces prisons.
Dans « The Thing », l’élément extérieur n’étant pas la personne interprétée par Kurt Russel, l’évolution du personnage s’en trouve forcément modifiée. Ainsi MacReady n’est que celui qui doit survivre à l’apparition de la créature ; apparaît ici une inversion dans la relation entre la créature et le personnage de Kurt Russel, par rapport aux trois autres films évoqués ici. Est-ce pour cette raison qu’aucune fuite n’est possible ? Il appartient à ce monde et ne peut donc en ressortir, après un jeu de massacre où presque l’intégralité de la base périt face à la créature, il n’en reste plus que deux dont personne ne sait si l’un des deux n’est pas la créature. De cette absence de fuite pour ces scientifiques éclate la victoire du monstre sur les êtres vivants de la station. Toujours cloisonnés, ils sont pris au piège, leur monde initial est devenu celui de la créature, sa mutation a été parfaite et absolue, elle a pu transformer ce monde à sa guise et selon sa convenance pour ensuite s’y détacher afin de conquérir un autre espace (ce que le film ne montre pas, mais sous-entend).

Les espaces cloisonnés de Carpenter apparaissent comme des centres d’expérimentation pour le réalisateur afin de mieux sonder l’espèce humaine. D’un monde établi, avec ses codes, ses rites, il envoie un élément extérieur comme si l’on plaçait un rat dans une cage afin de mieux étudier son comportement. « New York 1997 » et « Los Angeles 2013 » montrent les transformations de Plissken et du monde avec lequel il est entré en contact. « Les aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin » s’intéresse à un occidental entrant en contact avec des formes spirituelles lui étant totalement inconnues et avec lesquels il ne se familiarisera jamais. Quant à « The Thing », sans doute son film le plus complexe de ce point de vue là, ce n’est pas l’élément extérieur qui entre dans le champ de l’expérience, mais l’homme lui-même, placé dans sa cage antarctique. Confronté à l’inconnu, ses chances de survie apparaissent infimes et son adaptation pas suffisamment puissante pour terrasser cette créature.

Enfermé ou plongé dans son espace cloisonné, l’Homme, chez Carpenter, doit s’adapter et évoluer s’il ne veut pas mourir.